Comme le souligne la philosophe Corine Pelluchon, le regard sur la maladie chronique n’est pas nouveau, dans le champ de l’accompagnement des personnes en situation de handicap ou des grands vieillards, il y a toujours eu cette attention. La nouveauté est plutôt l’extension incroyable des personnes concernées : « La vieillesse, Montaigne le disait déjà, est un ensemble de petites maladies ! ». Dès qu’on a la chance de vivre un peu longtemps, la maladie chronique apparaît. Il se rajoute aujourd’hui, que des maladies très graves deviennent chroniques, comme le sida et certains cancers. C’est une situation avec laquelle tout le monde pratiquement devra composer, à moins de mourir très jeune.
Dans ce contexte, il n’y a plus d’un c ôté une santé un peu idéale et de l’autre côté une maladie dramatique. Au patient de construire lui-même une norme, avec l’idée que la maladie est une « autre allure de la vie », selon la formule du philosophe Georges Canguilhem. Dans le cadre de la maladie chronique, c’est encore plus vrai, parce qu’il faut que le patient apprenne à manger autrement, change sa façon de vivre, intègre d’autres habitudes. Le diabétique doit anticiper, se contrôler, s’observer, se discipliner, gérer les écarts…
Pour la philosophe, l’autonomie devient alors « auto normativité ». Celui qui est touché par la maladie produit de nouvelles normes, non pas dans l’objectif d’une maîtrise totale, mais pour retrouver une capacité d’agir malgré les contraintes des traitements, parfois des douleurs, les handicaps ou la fatigue qui accompagnent la pathologie. Le patient apprivoise sa maladie qui ne l’empêche pas de vivre, et même lui apprend des choses, le construit aussi d’une certaine manière (lire l’entretien page 94). Les enfants, qui grandissent avec de l’asthme ou du diabète (lire les témoignages de Lucas et Ilona pages 86 et 87) l’intègrent comme une particularité, un défi, parfois une vulnérabilité qui fait partie de leur identité.
Santé, En quête d’équilibre (2018)
Le malade chronique est devant le défi non pas de guérir mais de vivre avec la maladie. Il va prendre des traitements pendant des années, ou toute sa vie, fréquenter un grand nombre de médecins et souvent capitaliser un énorme savoir sur lui-même et sur les traitements.
Alors que le patient qui souffre d’une appendicite ne peut que s’en remettre au chirurgien, celui qui vit avec de l’asthme ou du diabète a le temps d’un échange nourri avec son médecin. Il peut se renseigner, s’interroger, douter, exiger, voire se rebeller !
C’est que qu’ont fait les parents à l’origine de l’AFM (Association française contre les myopathies) qui voyaient leurs enfants dépérir devant des médecins qui se déclaraient simplement impuissants. Ils ont renversé la table, et l’ordre habituel des choses, en trouvant l’argent eux-mêmes (avec le Téléthon) pour développer la recherche sur les maladies neuromusculaires.
Rebelles aussi, les associations des malades du sida ont totalement modifié le rapport soignant/patient. Pendant des années, la recherche s’est faite dans des conditions d’extrême urgence vitale, sur une maladie où tout était à apprendre et où la collaboration entre les patients et les médecins faisait fi des rapports traditionnels. « Après cela, les associations de malades, la famille, sont entrées dans le cabinet médical pour se faire entendre et ont ruiné le paternalisme classique du médecin qui lui faisait dire : « Je vous guéris, vous obéissez, vous prenez le traitement et c’est fini », note Corine Pelluchon.
L’éducation thérapeutique du patient (ETP) trouve son origine non chez les patients mais du côté des pionniers du traitement du diabète qui souhaitaient améliorer l’observance de leurs patients, pour leur éviter des complications graves comme la cécité. Au départ, la relation était surtout pédagogique et autoritaire : transmettre un maximum de connaissances au malade pour le responsabiliser, et le faire obéir ! Depuis, l’ETP a évolué vers des relations plus horizontales. Et surtout elle prend en compte les nombreuses raisons qui rendent difficile le suivi d’un traitement pendant des années, voire des dizaines d’années. Il s’agit maintenant de discuter, de négocier parfois et de trouver ensemble ce qui rendra le traitement, le régime, le soin, plus supportables.
Ateliers sur les traitements avec un médecin et une psychologue.
Jeu avec des cartes « émotions » ou « stratégies » pour comprendre ce qui stresse le patient dans la maladie ou les traitements, comment cela se manifeste.
Une fois ses besoins identifiés, le patient choisit ses ateliers :
- Expression corporelle avec une art-thérapeute pour se réapproprier son corps et renforcer une image plus favorable.
- Atelier de relaxation musculaire (shiatsu) ou de méditation pour mieux faire face à des situations stressantes.
- Chant pour travailler la respiration sans médication.
- Atelier équilibre alimentaire.
- Droit des patients : conseils de juristes pour améliorer des situations sociales difficiles.
- Visite de la conseillère médicale au domicile pour réduire la pollution intérieure.
Mettre le patient au centre d’une approche de soins dans lequel il serait pleinement participatif et actif, cela fait partie du « parcours de soins » tel que l’institution le recommande, et l’ETP est désormais prise en charge par la Sécurité sociale. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour que la « tête » du patient, ce qu’il ressent et ce qu’il pense soit clairement considérée comme indispensable au soin et à la bonne santé. Pour qu’il devienne, comme le formule Jean-Gérard Bloch, l’expert ultime de ce qu’il ressent. Pour que la hiérarchie laisse place à une relation, non pas entre un expert et un ignorant, mais entre un être humain, médecin, avec son expérience vécue et un autre être humain.
Pour le rhumatologue qui a introduit la méditation dans le cursus de formation des étudiants en faculté de médecine à Strasbourg, c’est ainsi que l’on rentre dans une médecine de l’être où le patient, actif, participe à ce qui l’oriente vers son mieux-être, comme détenteur de connaissances et d’un savoir qui est très important dans le processus thérapeutique. Il peut viser alors ce qu’il nomme le « plein être » plutôt que le bien-être : « Si l’on développe certaines de nos aptitudes et qu’on s’oriente vers la plénitude de notre être, on peut être entier, vivant, même avec la maladie, avec des choses qui dysfonctionnent en nous. Cela demande de modifier la manière de voir la santé elle-même. Je parle de plein être dans l’idée de s’orienter, de développer un certain nombre de nos aptitudes à voir les choses telles qu’elles sont et pas comment on a envie qu’elles soient ou comment on s’attend à ce qu’elles soient ».
Source : Fondation APRIL, Santé, En quête d’équilibre (2018).
La gratitude, au sens commun comme reconnaissance envers quelqu’un qui a été généreux envers soi, n’est pas un sentiment simple et sans ambiguïté. Elle évoque la notion de dette : « je lui dois quelque chose » qui peut être pénible.
Devenue une science expérimentale, objectivable, la médecine a tourné le dos à ce qui faisait « l’art médical » avec ses pratiques empiriques.
L’ONG anglaise Charities Aid Fondation réalise régulièrement des cartographies mondiales du don. Celle de 2017 a porté sur 139 pays (avec 500 à 2 000 personnes par pays) et analysé le rapport entre d’un côté le bien-être et les revenus, de l’autre le bien-être et les comportements généreux (don d’argent et de temps à une association, aide accordée à un étranger).
Parfois liée aux médecines traditionnelles, comme le yoga ou le tai-chi, ou pas du tout, comme la course à pied ou l’escalade, les pratiques qui lient le corps et l’esprit ont le vent en poupe.
L’individualisme et l’égoïsme, souvent cités comme des marqueurs de notre société, et associés à la réussite sociale, sont souvent donnés comme un modèle enviable.
« Nous sommes victimes de cette séparation corps-esprit qu’on a érigée comme principe, pas seulement dans l’idée qu’on en a, mais aussi dans notre façon de fonctionner, de vivre. La plupart du temps, nous sommes déconnectés des sensations du corps » estime Jean- Gérard Bloch.
Les conceptions passées de la santé ont montré qu’elle a toujours été comprise comme l’équilibre d’une personne dans son environnement. Mais ce qui, dans l’environnement, est important pour la santé a été vu de bien des façons différentes.
Dans l’ayurvéda, le corps humain est Quant à l’eau, elle s’y trouve sous la forme de « phlegme ». De l’équilibre de ces trois dhatu dépendent la vie et la bonne santé de l’organisme. Sinon, ils deviennent des principes pathogènes ou des « troubles ».